Le lait cru avec lequel vous allez travailler pour fabriquer vos fromages est naturellement composé d’une flore originelle utile qui sera plus ou moins riche.
Le développement de la flore utile dans le fromage va dépendre de la qualité de l’alimentation des vaches. Ces dernières vont brouter dans des prairies naturelles recouvertes d’une diversité d’espèces florales qui feront la typicité de votre fromage. L’ambiance du bâtiment de traite jouera également son rôle sur la préservation de cette flore initiale.
Or, avec l’hygiène de traite que nous impose la réglementation sanitaire, il est difficile de développer une flore présente en grand nombre.
Le fromager doit donc rajouter une quantité plus ou moins importante de ferments d’acidification dans la cuve et d’affinage en cave afin d’assurer un développement microbien optimum dans ses produits.
L’art du fromager consistera à jongler avec finesse entre l’expression de la flore naturelle du lait cru et celle des ferments rajoutés . Il va falloir jouer sur un temps de maturation plus long et ne pas trop surdoser les ajouts de ferments industriels.
Dans cet article, je vous explique quels sont les facteurs qui vont influencer le développement de la flore microbienne utile et comment ils agissent : la température et le temps de maturation, la dose de ferments, les inhibiteurs, et l’Aw (eau disponible présente dans le fromage).
I- La flore microbienne utile du lait cru
Divers micro-organismes utiles peuvent être présents dans les laits crus. Pour que vous sachiez de quoi nous parlons exactement dans cet article, je vous décris rapidement les principaux constituants de cette flore :
a) Les bactéries
Parmi les micro-organismes présents, les bactéries prédominent. Ce sont des cellules de petites tailles. Au sein d’une même famille, chaque bactérie se décline en genre, espèce, sous-espèce.
Les bactéries lactiques
Elles jouent un rôle essentiel dans la fabrication du fromage. Elles interviennent particulièrement dans les étapes de coagulation et d’affinage. Elles participent à l’acidification du caillé, à la formation du goût et de la texture des fromages.
Les 3 genres principaux de bactérie lactique sont :
- les lactocoques du genre Lactococcus ;
- les lactobacilles et streptocoques thermophiles, qui se développent à des températures élevées ;
- les Leuconostoc qui produisent des composés aromatiques et du dioxyde de carbone qui permet l’ouverture des pâtes persillées.
Les bactéries propioniques
Elles fermentent les lactates pour donner de l’acide acétique et propionique, ainsi que du CO2 (fermentation propionique). Elles participent à la formation du goût et à l’ouverture des fromages à pâte pressée cuite (Emmental, Comté, Gruyère).
Les bactéries de surface des fromages affinés
Ce sont les microcoques, les staphylocoques non pathogènes et les bactéries corynéformes qui contribuent à la saveur des fromages à croûte lavée comme le Munster ou le Camembert.
b) Les champignons
Ils regroupent 2 types de micro-organismes :
Les levures
Les levures sont très présentes dans l’environnement et se trouvent essentiellement sur la surface des fromages. Ce sont des champignons chez lesquels la forme unicellulaire est prédominante. Elles peuvent participer à la désacidification par consommation des acides (ex: Geotrichum candidum, Brevibacterium linens).
Les moisissures
Ce sont des micro-organismes filamenteux disséminés par l’émission de spores. Certaines sont caractéristiques de fromages typiques comme Penicillium roqueforti, que l’on trouve à l’intérieur des pâtes persillées comme le roquefort ou Penicillium camemberti, qui est présente sur la croûte des camemberts. Mucor est la moisissure dominante à la surface de la Tomme de Savoie.
II- Comment se développe un micro-organisme : zoom sur la courbe de croissance des bactéries lactiques
Avant de voir quels sont les facteurs qui influencent le développement de la flore utile dans le fromage, il est important que vous compreniez bien comment un micro-organisme se développe dans son milieu. C’est un petit rappel sur les bases de la microbiologie .
J’ai donc repris l’exemple de la courbe de croissance des bactéries lactiques.
Les bactéries lactiques réalisent la fermentation lactique, c’est-à-dire une réaction de transformation du lactose en acide lactique.
- La phase de latence(I) ou d’adaptation dont la durée dépend du nombre de bactéries inoculées et de l’état physiologique de ces bactéries. Cette phase peut être très courte avec un inoculum important,
- La phase de développement exponentiel (II) caractérisée par un taux de croissance maximum des bactéries. La pente de la courbe dans cette zone est constante pour une souche donnée et un milieu donné, mais elle varie beaucoup avec la température. A la fin de cette phase, l’acidité n’a pas encore atteint sa valeur limite,
- La phase de ralentissement(III),
- La phase stationnaire(IV),
- La phase de déclin(V).
Fig. 2 – COURBE TYPE DE DEVELOPPEMENT ET D’ACIDIFICATION
DES BACTERIES LACTIQUES DANS LE LAIT (D’après RAMET, 1976)
Développement
– – – Acidification
Chaque micro-organisme va avoir ses propres exigences nutritionnelles et physiologiques. Tout ceci se matérialisera sous la forme d’une courbe de croissance qui lui est propre.
Leur développement va varier en fonction des caractéristiques intrinsèques du lait mais aussi des facteurs ambiants auquel il sera soumis.
III-1er facteur : la température et le temps de maturation
A chaque souche de micro-organisme est associé :
- Une température de latence où le développement est ralenti voire inhibé,
- Une température optimum avec un développement rapide,
- Une température maximum ou mortelle avec destruction de cette souche.
Notre objectif en tant que fromager est de faire évoluer la température suivant les ferments que l’on veut développer. Cela fait partie de nos outils.
Je rappelle que nous avons principalement 2 familles de souches de bactéries utilisées en fromagerie :
- les bactéries mésophiles avec une température optimum de 30-35°C
- les bactéries thermophiles avec une température optimum de 45-55° C
Le choix des températures de fabrication va jouer sur les flores que l’on développe et par conséquent, sur l’acidification de notre fromage, sa protection, son humidité et la texture de la pâte.
En pratique En fabrication Bleu du Vercors-Sassenage, je pratique une maturation chaude à 36°C afin de favoriser le développement des ferments thermophiles qui vont acidifier mas pas trop, afin de garder du calcium dans mon caillé et obtenir ainsi une texture plus élastique et ferme. Cela va permettre de le décailler en cubes de 1cm sur 1cm ou 2cm sur 2cm. Je baisse ensuite ma température à 30°C pour reprendre un développement de mésophile qui vont eux acidifier pendant les différentes opérations repos et brassage et sur la table d’égouttage afin d’obtenir un coiffage du grain (séchage extérieur). Au moment du moulage, ils auront du mal à se recoller et formeront des trous en vue du développement du bleu à l’intérieur. Cela va permettre aussi de déminéraliser le caillé et d’obtenir une pâte souple et collante (pâte molle). En transformation fromagère, la température est LE facteur que l’on fait varier lorsque l’on a un souci d’acidification (augmentation de la température d’1 ou 2°C pour augmenter la vitesse d’acidification et inversement, baisse de la température pour ralentir l’acidification ). |
IV- 2ème facteur : influence de la dose de ferments sur le développement de la flore utile dans le fromage
La dose de ferments joue essentiellement sur le déplacement de la courbe d’acidification dans le temps. Plus on met une dose importante de ferments, plus on augmente la vitesse d’acidification. On aura donc une accélération de l’égouttage de notre caillé et au final un fromage plus sec.
J’évite généralement de jouer sur la dose de ferments car cela n’est pas évident à gérer par la suite. Le risque est d’écraser la flore originelle et diminuer la typicité de mon produit.
Vous pouvez aller consulter l’article qui vous explique comment choisir vos ferments pour en savoir plus sur les différents types de ferments qui existent.
V- 3ème facteur : influence des inhibiteurs sur le développement de la flore utile dans le fromage
Les inhibiteurs sont des substances susceptibles d’être présents dans le lait. Ils vont ralentir voire bloquer l’activité microbienne et la fermentation :
- Il existe des inhibiteurs naturels. Par exemple, pendant les 2 premières heures après la traite, il y a une enzyme naturelle qui inhibe tout développement microbien. C’est pour cela que les tanks à lait sont réglés pour refroidir le lait à 4°C en moins de 2 heures.
- Les immunoglobulines (MAP matières azotées protéiques solubles) peuvent se comporter en frein d’acidification. Leur taux augmente sur des laits mammiteux, sur le colostrum voire sur des laits de fin de lactation.
- Les antibiotiques naturels : certains micro-organismes sécrètent des antibiotiques comme les streptocoques lactis utilisés en transformation fromagère (production de l’anisine) ou comme le streptocoque crémoris (production de diplococcine).
- Les acides gras libres peuvent freiner le développement microbien. Ils se retrouvent dans le lait suite à des chocs mécaniques (transfert par plusieurs pompes) ou par attaque enzymatique (lipase produite par des germes psychrotrophes se développant à basse température dans les tanks à lait).
- Les antiseptiques chimiques : leur présence peut s’expliquer par un mauvais rinçage de la machine à traire.
- Les antibiotiques : leur présence fait souvent suite au traitement d’une mammite (infection mammaire). Cela va ralentir voire inhiber l’action microbienne. Certaines souches microbiennes peuvent s’habituer aux antibiotiques (effet d’accoutumance). NB: Sur la ferme, nous sommes en Agriculture biologique et nous évitons l’utilisation d’antibiotiques. Nous privilégions les huiles essentielles.
VI- 4ème facteur: influence de l’aw sur la flore d’affinage
L’aw correspond à la quantité d’eau pouvant être utilisée par les micro-organismes dans le fromage lors de l’affinage. Plus elle est importante, plus on aura un développement important et rapide de micro-organismes et donc un affinage accéléré (et inversement).
En pratique :
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Vous avez pu voir l’importance de maîtriser les facteurs influençant le développement des micro-organismes utiles pour la fabrication d’un fromage de bonne qualité.
Il existe d’autres leviers qui vous aideront à améliorer vos techniques fromagères, notamment la phase d’égouttage. Rendez-vous dans un prochain article pour les découvrir.
En attendant n’hésitez à poser vos questions ou à faire part de votre expérience dans les commentaires.
A bientôt sur Fabriquetonfromage.com !
Pour aller plus loin
Retrouvez dans ce document de synthèse du Centre de documentation Ressources des Terroirs : les bases de la microbiologie en fromagerie
Bonjour,
J’ai réliasé des fromages de BREBIS, de type petits frais, habituellement nous mettons des ferments « oméga » (je n’en sais pas plus sur eux) et de la pressure et un petit frais coulant mixé. Mais cette fois ci j’ai oublié le petit frais…et mon fromage est bon au goût mais moisi de bleu, croute un peut jaune, rose. J’ai pulvérisé des ferments de croute avec de l’eau ( alpha) cela a enrayé le poil de chat, mais… avez vous une solution simple pour garder mes fromages en bon état ? En général nous les mangeons en quelques semaines… mais ils ne coulent jamais, ils sèchent, et là je pense qu’ils vont surtout moisir avec un gout de moisi désagréable sur la croute. Je vous remercie par avance et hâte de lire d’autres infos !
Bonjour, je n’ai jamais fabriqué de fromage au lait de brebis mais sur les fromages frais lactiques au lait de vache, le bleu se développe quand le croûtage sèche rapidement, ce qui empêche le géotrichum de se développer et donc de prendre la place(peau de crapaud). Pour diminuer le poil de chat vous pouvez simplement arroser au jet d’eau (attention à la qualité de l’eau),cela aide à l’installation du croûtage par la remonté du ph mais aussi par une meilleur acidification(ce qui doit arriver quand vous mettez votre frais coulant).
Je ne sais pas à quelle température vous fabriquez mais pour faire des fromages coulant il faut baisser la température d’emprésurage et mouler un caillé plus mou.Je ne sais pas si j’ai répondu à toutes vos questions mais n’hésitez pas à me remettre un message.Bonne soirée.Philippe
Bonjour,
Merci pour toutes ces infos que l’on peut trouver sur votre site!
Je suis éleveur de brebis laitières et nous transformons le lait en PPNC, lactiques et yaourts.
Pour les PPNC nous avons un soucis au niveau de la maturation du lait. Nous ensemençons notre lait avec du levain (que nous faisons nous-même, il est à 80°Dornic), et du yaourt que nous fabriquons. Lors de la transformation notre lait est à 22°Dornic, nous le chauffons à 32°C, ensuite nous incorporons les ferments et après 1h30 de maturation l’acidité n’evolue quasiment pas (moins d’un degré Dornic). Cela pourrait-il venir de notre dosage de ferments? ou c’est la température qui est plutôt en cause?
Merci pour votre réponse!
Bonjour, vos articles sont très intéressants merci beaucoup. Avez-vous prévu de sortir la suite? Je vois que vous vous êtes arrêté à 12/52.
Bonne journée,
Jérémy
Bonjour,
« fromager amateur » j’utilise du yaourt de la même provenance que le lait comme ferment et le petit lait salé pour morger.
Qu’en pensez vous?
Cordialement
François